On a longtemps pensé que des catastrophes naturelles tel que le tsunami de 2006 en Asie ne pouvaient arriver chez nous.
Cet article démontre qu'il n'en est rien et que nous ne sommes que misérables face à Dame Nature.

Alain C.Paget

On en sait un peu plus sur le tsunami du Léman en 563.

 

Depuis le 6e siècle, grâce aux chroniques de deux évêques, Marius d’Avenches et Grégoire de Tours, on savait qu’une énorme vague avait en l’an 563 submergé les rives du lac Léman jusqu’à Genève, suite à l’effondrement d’un pan de montagne. Une équipe de chercheurs de l’Université de Genève, qui vient de passer plusieurs mois à analyser une épaisse couche de sédiments au milieu du lac, a pu reconstituer le déroulement de cette catastrophe, connue dans les milieux scientifiques sous le nom de Tauredunum. Mais les conclusions de cette recherche ne s’arrêtent pas au constat historique. Les risques de tsunamis dans les lacs sont sous-estimés et restent d’actualité.

 

L’an dernier, Katrina Kremer, doctorante à l’Université de Genève, avait déjà révélé une partie des résultats de ses recherches. Tout est parti de la découverte au milieu du Lac Léman d’une vaste et épaisse couche de sédiments d’un volume atteignant un quart de kilomètre cube (soit, schématiquement décrite, une masse longue et large d’un kilomètre et haute de 250 mètres). Le prélèvement d’échantillons de ces sédiments a permis de dater leur dépôt entre la fin du 4e et le début du 7e siècle.

C’est-à-dire dans une période où l’événement du Tauredunum constitue l’unique indice historique d’un accident géologique majeur. Hypothèse corroborée par la quasi certitude que cette couche sédimentaire est arrivée dans le lac d’une manière assez brutale.

Comment l’expliquer ? C’est la question à laquelle l’équipe de chercheurs emmenée par Katrina Kremer tentent de répondre dans l’étude qu’ils publient dans la revue internationale "Nature Geoscience". Cet événement n’est probablement pas dû à l’écroulement d’un pan de montagne dans le lac, mais en amont, dans le delta chablaisien du Rhône. Toutefois le déroulement exact de la catastrophe entre l’éboulement du mont Tauredunum (dans le massif du Grammont) et le déclenchement du tsunami lémanique n’est pas encore totalement élucidé.

 

Les chercheurs avancent l’hypothèse que le brusque impact de l’éboulement a déstabilisé les sédiments de la zone immergée du delta, lesquels se sont alors décrochés et mis en mouvement dans le lac, déplaçant un très grand volume d’eau et provoquant du même coup une immense lame qui s’est rapidement propagée sur toutes les rives et jusqu’à l’autre bout du Léman.

 

Selon les simulations informatiques qui en ont été faites, une vague de 8 mètres de haut aurait frappé la région d’Évian-les-Bains après seulement une dizaine de minutes et, cinq minutes plus tard, de 13 mètres sur la rive opposée, à Lausanne. Son amplitude aurait ensuite baissé mais repris de plus belle en s’engouffrant dans le rétrécissement du Petit Lac pour atteindre à nouveau les 8 mètres à Genève quelque 70 minutes après son déclenchement. Elle aurait alors dévasté la cité, comme l’ont écrit les deux chroniqueurs Marius d’Avenches et Grégoire de Tours (lire ci-contre).

Les chercheurs genevois sont d’avis que d’autres tsunamis de ce genre se sont produits bien avant l’événement du Tauredunum. Et qu’il n’est pas impossible qu’il s’en produise encore si, d’une manière ou d’une autre, l’équilibre géologique de l’espace lémanique venait à être brutalement modifié au point de déclencher un éboulement sur le delta du Rhône ou sur les rives du lac.

"Notre but est seulement de rappeler une réalité. La formation d’une énorme vague est possible de nos jours sur le Léman. Le grand public considère généralement que les lacs sont des surfaces paisibles. Or, tel n’est pas le cas. A partir du moment où vous avez une grande masse d’eau, vous avez aussi un risque de tsunami." (Sources : Stéphanie Girardclos, maître assistante à l’Université de Genève Nature Geoscience et revue de presse)

 

De Marius, évêque d’Avenches puis de Lausanne (574-594), contemporain et voisin de la catastrophe :

« P. C. Basilii anno XXII. Ind. XI ; En cette année, l’imposante montagne de Tauredunum dans le territoire du Valais, se précipita si subitement qu’elle engloutit le château voisin, ainsi que des villages avec tous leurs habitants et elle agita tellement le lac sur une longueur de 60 milles et une largeur de 20 milles que sorti de ses deux rives, il dévasta de très anciens villages avec hommes et bétail ; il détruisit aussi beaucoup de sanctuaires avec leurs desservants et emporta violemment le pont de Genève, des moulins et des hommes et ayant pénétré dans la cité, il y fit périr plusieurs habitants ».

[563 P. C. Basilii anno XXII. Ind. XI.

 

Hoc anno mons validus Tauretunensis, in territorio Vallensi, ita subito ruit, ut castrum, cui vicinus erat, et vicos, cum omnibus ibidem habitantibus oppressisset; et lacum in longitudine LX millium et latitudine XX millium, ita totum movit, ut egressus utraque ripa, vicos antiquissimos cum hominibus et pecoribus vastasset; etiam multa sacrosancta loca cum eis servientibus demolisset; et pontem Genevacum, molinas et homines per vim dejecit, et Genava civitate ingressus, plures homines interfecit.]

 

De Grégoire, évêque de Tours, d’après la traduction de M. Taranne, professeur à l’académie de Paris :« En Gaule, un grand prodige eut lieu au fort de Tauredunum, situé sur une montagne qui dominait le Rhône. Après avoir fait entendre pendant plus de 60 jours une espèce de mugissement, cette montagne, se détachant et se séparant d’un autre mont contigu, avec les hommes, les églises, les terres et les maisons qui la couvraient, se précipita dans le fleuve et, lui barrant le passage entre ses rives qu’elle obstruait, refoula ses eaux en arrière ; car en cet endroit le terrain, fermé de part et d’autre par des montagnes, ne laisse qu’un étroit défilé par où s’échappe le torrent ; alors le fleuve, inondant la partie supérieure de son cours, couvrit et dévasta tout ce qui était sur ses rives.

Puis cette masse d’eau, se précipitant dans la partie inférieure, surprit les habitants comme elle avait fait plus haut, les tua, renversa les maisons, détruisant les animaux et le long des rivages jusqu’à Genève emporta et entraîna tout par la violence de cette inondation subite. Plusieurs racontent que là les eaux s’amoncelèrent au point d’entrer dans cette ville par dessus les murs. Ce qui est croyable, parce que, comme nous l’avons dit, le Rhône en cet endroit coule resserré entre deux montagnes et qu’arrêté dans son cours, il ne trouva pas sur ses rives d’ouverture pour écouler ses eaux. Puis, quand il eut une fois débordé par dessus la montagne abattue, il submergea tout le pays. »

 

566. Post-consulat de Basilius, 25e année, 14e indiction.

 

Cette année-là, un astre apparut dans le ciel pendant soixante-dix jours. [Hoc anno signum apparuit in coelo per dies LXX. ] l’hiver fut si vigoureux que pendant cinq mois ou plus, on ne put voir la terre à cause de l’épaisseur de la neige; cette âpreté fit périr de nombreuses troupeaux. [Eo anno hyems valentissima luit, ut quinque aut eo amplius mensibus propter nivis magnitudinem terra videri non posset; ipsaque asperitas multa animalia necavit. ]

 

C’est grâce aux limonologues que l’on a pu percer l’énigme du tsunami qui ravagea les rives du Léman et dont se sont faits les chroniqueurs Marius d’Avenches et Grégoire de Tours en étudiant les sédiments au fond du lac entre Lausanne et Evian que les limonologues de l’Université de Genève Katrina Kremer, Guy Simpson et StéphanieGirarclos ont pu reconstituer les événements. Un dépôt de sédiment de cinq mètres d’épaisseur gît au fond du Léman. Il témoigne d’un gigantesque glissement de terrain sous-lacustre: 250 millions de m3 sont descendus brutalement du haut lac vers le centre.

Des restes de végétaux ont permis grâce à la technique du carbone 14 de placer cet événement dans une fourchette chronologique située entre 361 et 612 après J.-C. Associant cette découverte avec la catastrophe du Tauredunum, ces limnologues peuvent affirmer qu’une partie du massif du Grammont est tombée dans la plaine. Le choc sur le sol limoneux s’est transmis au fond du haut lac et une grande quantité de sédiment déposé par le Rhône à son embouchure a glissé vers le milieu du lac. Ce phénomène a provoqué le tsunami. Il a même été possible de mesurer l’ampleur et la vitesse de cette vague. Elle avait 13 mètres de haut quand elle a frappé Vidy. 70 minutes plus tard, c’est une vague de 8 mètres qui balayait Genève. Marius affirme qu’elle est entrée dans laville.

 

Grégoire précise qu’elle a passé par-dessus les murailles. Une remarque qui a longtemps paru invraisemblable jusqu’à ce que l’archéologue Charles Bonnet démontre que la muraille de la cité de Genève s’étendait alors jusqu’à la rive du lac.

 

Après cette étude parue en 2012 dans la revue Nature Geoscience, trois géologues ont pu localiser précisément la région de l’impact. Ils ont publié le résultat de leurs travaux à la fin de l’année dernière dans les Cahiers de Vallesia. Ils se sont appuyés sur les tranchées et les relevés géologiques effectués pour la construction de nouvelle route cantonale H144 Rennaz – Les Evouettes. Leur conclusion: l’éboulement est parti du sommet de La Suche dans le massif du Grammont au-dessus des Evouettes. Ils évaluent la masse de roche tombée dans la plaine du Rhône à 20 ou 30 millions de m3 de roche. Le choc sur le sol fut tel que les sédiments de toutes les époques se sont mélangés et qu’il a donné naissance aux collines situées entre Chessel et Noville.

 

A voir

https://www.arte.tv/fr/videos/078139-000-A/un-tsunami-sur-le-lac-leman/ autres évenements

-1730 AVJC

-700 AVJC

-235 AVJC

-30 AVJC

 

collationné par Alain C.Paget 2020